Elle est passionnée de l’agriculture et du développement de sa province. Femme forte et battante. Chantal Tshibola est présidente de la Fédération des organisations paysannes du Kasaï-Oriental (Fopakor). Elle nous a accordé une interview sur la situation de l’agriculture et la crise alimentaire au Kasaï-Oriental.
Investir au Kasaï : Comment lutter contre la crise alimentaire au Kasaï-Oriental ?
Chantal Tshibola : J’ai toujours dit aux autorités que si vous voulez lutter contre la crise alimentaire, il faut encadrer les petits producteurs. C’est parce que dans notre pays, nous n’avons pas d’usines de production agricole. Certes, on a commencé PVA à Nkwadi, mais il est en difficulté, car il y a des gens qui combattent PVA Nkwadi.
Pourquoi l’agriculture ne semble pas donner des résultats dans la province ?
C’est aparce que chaque fois qu’il y a un peu d’argent pour l’agriculture, vite beaucoup de gens s’improvisent agriculteurs. Même des commerçants deviennent du jour au lendemain des agriculteurs. Ils sautent sur l’occasion parce qu’ils ont vu l’argent. Et à la fin, ils ne produisent rien.
Je vous donne un exemple : le chef de l’État a envoyé cinq tracteurs agricoles au Kasaï-Oriental, à raison d’un tracteur par territoire. Ces tracteurs étaient pourvus en carburant et en semences en vue de produire 50 hectares de produits agricoles par territoire. Et quand ces tracteurs sont arrivés, le pouvoir les a détournés. C’était devenu des tracteurs des commerçants. Tous les commerçants se sont improvisés grands producteurs agricoles. Et on n’a jamais vu 50 hectares qui étaient prévus par territoire.
Les administrateurs de territoires n’étaient même pas informés de l’existence des tracteurs destinés à leurs territoires. Comment pouvez-vous prétendre lutter contre la crise alimentaire dans la province avec ce genre de pratiques ?
Les petits agriculteurs ont-ils bénéficié de tracteurs ?
J’ai posé la question à tous les petits producteurs pour savoir à qui on a fait un champ avec tracteur. Ils m’ont dit : personne n’a bénéficié de tracteurs ! J’ai appelé les administrateurs des territoires et leur ai posé la même question. Ils n’étaient même pas au courant qu’il y avait des tracteurs qui étaient donnés. Au final, ces tracteurs n’ont donné aucun résultat. Nous avons des preuves.
Pourtant, nous avons appris que ces tracteurs étaient donnés avec du carburant. Aucun petit producteur n’a bénéficié de tracteurs. Ils n’ont pas eu cette faveur. Ils sont même allés voir le ministre.
Combien coûte la location d’un tracteur pour faire l’agriculture ?
La fondation Kadima fait louer les tracteurs à 35 dollars par hectare. En plus, il faut payer 10 dollars au chauffeur. Il faut prendre en charge la personne qui va faire la reconnaissance de votre champ, son transport, sa nourriture…
D’où vient la production du maïs au Kasaï-Orient ?
La grosse partie de la production agricole qu’il y a sur le marché dans notre province, vient de petits producteurs. Bien sûr, les plus grandes quantités peuvent venir de Kaniama Kasese, etc. Mais la production locale est l’œuvre de petits producteurs. Voilà pourquoi je dis qu’il faut encadrer les petits agriculteurs. Il faut leur donner aussi des tracteurs, car ils n’ont pas les moyens de les louer. On devrait regrouper les petits producteurs, faire de grands champs pour eux. Car ce sont eux qui produisent et nourrissent la province du Kasaï-Oriental.
Le projet de Nkwadi, je ne peux pas dire que c’est un échec. Il faut ce qu’il ont eu comme enveloppe, ont-ils eu l’argent ou non.
Pourquoi la crise du maïs n’en finit pas à Mbujimayi ?
La raison est simple : quand l’argent destiné à l’agriculture arrive, les gens sautent dessus pour remplir leurs poches. Je répète : l’argent qu’on donne pour faire l’agriculture n’arrive pas à destination. Même quand on vote le budget de l’agriculture, il n’y a pas de mesures d’encadrement. La RDC n’a pas de politique agricole digne de ce nom. Et il n’y a pas de suivi. Quand on donne de l’argent pour faire l’agriculture : 17 millions, 20 millions… cet argent n’arrive jamais à destination.
On assiste à des distractions telles que l’un fait un petit champ ici, l’autre en fait un là-bas… Ce sont des productions insuffisantes et sporadiques dont la quantité ne peut nourrir toute la province. J’insiste : il faut encadrer les petits agriculteurs.
Qu’en est-il du système PTF (Partenaires techniques et financiers) ?
Le système PTF ne marche pas chez nous. Ailleurs, quand on plante on mange le fruit ; mais chez nous on mange et le fruit et la semence ! Les PTF font du bluff. Ils amènent de l’argent dont ils dépensent des miettes dans l’agriculture et les gros montant ils les gardent pour eux-mêmes dans leurs poches. Par exemple, s’ils amènent 10 000 dollars, ils utilisent seulement 1000. Et les 9000 restent dans leurs poches. Mais ils vont faire simplement des démonstrations de leurs véhicules sur le terrain pour faire impression. Alors que sur le terrain, on ne voit pas grand-chose comme activités.
Vous avez eu quand-même des tracteurs à l’époque du gouverneur Ngoyi Kasanji ?
Pas du tout ! Les tracteurs du temps de Ngoyi Kasanji c’était pour transporter l’eau, l’huile, etc. On a donné aux amis, aux connaissances, mais ça n’a servi à rien.
Si vous étiez ministre de l’Agriculture ?
Si j’étais ministre de l’Agriculture, je commencerais par identifier les vrais agriculteurs. J’encadrerais les petits producteurs avant de faire les usines agricoles. Je me battrais pour que notre gouvernement mette en place une politique agricole. Aujourd’hui, on a des lois, mais sans mesures d’application.
Jean-Hubert Bondo